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Histoire de l’IVG : un droit à conquérir et à défendre

De nos jours, le droit à l’avortement sur simple demande existe dans seulement 34 % des États. Dans de nombreux pays, l’IVG est autorisée, mais seulement en cas de mise en danger de la vie, en cas de viol ou d’une malformation du fœtus : on est alors bien loin de législations garantissant la libre disposition de son corps, donc de sa vie.

Si la reconnaissance légale de l’IVG est récente, les pratiques abortives sont anciennes et connues au moins depuis l’Antiquité, et les réprobations morales à son encontre reposent largement sur des justifications patriarcales. La consécration de l’ordre capitaliste, au début du XIXe siècle, recompose et renforce l’arsenal juridique contre les pratiques abortives en Occident. C’est l’époque du Code civil napoléonien, qui fait des femmes des éternelles mineures, soumises d’abord à l’autorité du père puis du mari. Le renforcement des législations anti-avortement est donc légitimé par des idéologiques conservatrices, notamment d’inspiration religieuse, qui font des femmes des « ventres sur pattes » destinées à procréer. L’organisation de la parenté par les États bourgeois se fait alors selon une logique naturaliste, qui réduit les femmes à une essence biologique de mères.

Le rôle des femmes tel que le conçoit la bourgeoisie montante est donc clair : enfanter. Dans la famille bourgeoise, afin de donner un héritier au capitaliste. Et chez les prolétaires, afin de reproduire la force de travail que le capitaliste pourra embaucher dans ses ateliers puis dans ses fabriques. L’idéologie conservatrice vient légitimer un ordre social et économique basé sur la domination politique de la bourgeoisie.

Le droit à l’avortement : une lutte essentielle pour l’émancipation

À partir du début du XXe siècle, dans les États bourgeois, ces discours réactionnaires et conservateurs légitimant l’ordre social sont accompagnés de politiques natalistes. La contraception et l’avortement sont durement pénalisés, comme en France en 1920, avec une loi particulièrement répressive, réformée seulement en 1965 pour le volet contraceptif, tandis que l’IVG ne sera légalisée qu’en 1974.

C’est donc face à ces législations rétrogrades que s’organise la lutte pour l’IVG. Car la libre disposition de son corps, donc de sa vie, est une condition indispensable à l’émancipation humaine et est au cœur des luttes du mouvement ouvrier. C’est pour cela que, en 1920, l’URSS fut le premier État au monde à légaliser le recours à l’IVG. Cependant, la prise de pouvoir par Staline a conduit à l’interdiction de l’avortement en 1936, dans une logique nataliste de valorisation de la structure traditionnelle de la famille. Cette interdiction ne fût levée qu’en 1955 en URSS.

En France, cette lutte connaît un rebond à partir des années 1950. Face aux revendications de légalisation de l’IVG, le Parti communiste français, l’un des plus inféodés au stalinisme, déclare par la voix de Jeannette Veermeersch, dirigeante de sa section féminine, que l’avortement est « un vice de la bourgeoisie » qui ne doit pas se répandre dans la classe ouvrière. L’influence réactionnaire du stalinisme est ici très claire : le rôle des femmes serait d’être mères. Une conception à rebours de l’ensemble des positions marxistes sur l’émancipation des femmes.

Un combat essentiel pour les conditions de vie des femmes prolétaires

C’est ainsi qu’au sein du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (Mlac) luttent des militantes trotskistes comme Arlette Laguiller, ou des dissidentes communistes en désaccord avec la ligne officielle du PCF. Si celles-ci ne se font pas d’illusions sur les limites de leurs camarades féministes qui ne remettent pas en cause le système capitaliste, elles reconnaissent l’importance du combat pour l’avortement pour les conditions de vie des femmes de la classe ouvrière. Jusqu’à l’avènement de la loi Veil en 1975, au-delà du travail militant de propagande, afin de réduire le risque associé aux avortements clandestins, des militantes et des militants pratiquent des avortements malgré la loi, qui les assimile à des meurtres.

Dans les pays d’Europe de l’Est, la chute de l’URSS en 1991 engendre des retours en arrière dans de nombreux pays. C’est le cas en Pologne ou en Hongrie, où des gouvernements réactionnaires limitent fortement le droit à l’avortement. Dans les anciennes colonies occidentales, on observe la survivance des lois coloniales réprimant l’avortement après les indépendances, avec des reconfigurations liées aux contextes nationaux et notamment à la place prise par des politiques réactionnaires d’inspiration religieuse.

Mais d’une part ces reculs suscitent des résistances et, d’autre part, les luttes des femmes ont abouti à la reconnaissance du droit à l’avortement dans certains pays où il n’existait pas.

En Pologne, l’année 2021 a connu d’importantes manifestations pour contester la limitation drastique du droit à l’IVG. En 2018, sous la pression des luttes féministes, le droit à l’avortement a été adopté dans la très catholique Irlande. En Amérique du Sud, d’importants mouvements féministes existent et luttent particulièrement pour le droit à l’avortement. Le cas de l’Argentine est exemplaire : il y existe un mouvement de masse en faveur des droits des femmes.

En Europe et en Amérique du Nord, après les mobilisations massives des années 1960 et 1970 qui ont amené la conquête de droits civiques, on observe des périodes de reflux. Ainsi, aux États-Unis la Cour suprême, à majorité républicaine, a supprimé l’arrêt Roe vs Wade qui garantissait l’IVG au niveau fédéral. Cela a entraîné la suppression du droit à l’avortement dans de nombreux États du pays, tandis que des politiques de surveillance et de répression des avortements réalisés dans des États limitrophes étaient mises en place. Ces États bourgeois, qui mènent des politiques réprimant l’IVG, mettent en danger la vie des femmes. Dans ces États, la condition des hommes trans sur le sujet est d’autant plus dramatique : même dans des pays moins répressifs sur les droits procréatifs, accéder aux services de santé s’avère être un parcours du combattant pour les personnes trans.

Si la « liberté d’avorter » vient d’être inscrite dans la Constitution française, la situation n’est pas pour autant idyllique : le droit formel à l’avortement est une chose, pouvoir y recourir en est une autre. Avec la casse de l’hôpital public et la fermeture progressive de nombreux services de proximité, avoir accès à l’IVG est un défi selon l’endroit où l’on habite et sa situation financière.

Tant que le capitalisme existera, ce droit essentiel sera toujours à la merci de retours en arrière. Seule une société communiste sera à même de garantir à chacun une fois pour toutes la libre disposition de son corps.


Gabrielle Jacquemin